Kamal Benkirane

Accommodement déraisonnable

En général, les expressions qui cantonnent un groupe dans un moule social donné me rebutent. Et vu que la question identitaire provoque tellement de remous dans le monde ces temps-ci, je me suis arrêté sur la question de l’accommodement raisonnable et mon exploration de cet idiome dans le contexte juridique visaient plus à comprendre à quel point on peut accommoder la conception identitaire d’un pacifique chevronné avec celles d’un belliqueux opposé aux différences culturelles et religieuses. Or, j’estime que si un accommodement est pour la conscience ce que la coque est pour l’œuf, la vérité ne jaillit pas souvent de ce qui entretient les croyances mais de ce qui les démentit. Si le danger est dans la pulsion identitaire, l’amour ne peut démériter dans la fusion de deux entités. Il n’y a pas de grandes moralités dans les grandes solitudes qu’elle ne l’est dans les identités meurtrières.
 
    Je ne le connaissais ni d’eve ni d’Adam. Il avait déposé son manteau marron, ses gants, et une cartable noirâtre sur la table avoisinante et ne se souciait guère des quelques regards torves que posaient sur lui les clients de ce restaurant arabe de la rue St Michel. Ce soir là, je parcourais paisiblement mon journal communautaire, et dés qu’il lut le titre (Accommodements raisonnables) sur la première page, il m’interpella subitement
 
 -On nous gratifiera toujours de ce qui ne fera jamais notre affaire!
 
-Quelle affaire? Dis-je visiblement surpris
 
-Ces accommodements raisonnables, je ne crois pas à un traître mot de ce qu’on nous véhicule sur ce débat.
 
-Un jeu de mots, il suffit d’inverser, et vous aurez le même sens !
 
-Je ne crois pas à ce jeu de mots. Moi, je fais affaire avec du monde multiethnique, je fais des affaires d’or. Nous, on est du bon monde. On est accueillant, on aime faire des affaires avec les étrangers
 
 -Qui n’aime pas faire affaire avec des étrangers ? Dis-je, soudainement acculé vers cette dimension alarmiste de l’identité en danger et qui puise dans l’adversité
 
-Vous avez sûrement compris ce que je veux dire. Savez vous ? Ce sont les lois du marché qui définissent ces accommodements raisonnables, le reste on en fait une soupe populaire pour le grand bonheur, hélas, de ceux qui en profitent à leur aise.
 
- Mais il faut croire que nous faisons partie d’une grande communauté ou les agissements des uns finissent par affecter les autres en bien ou en mal.
 
-Tout le monde fait de son mieux fait, le bâton magique pour tout régler d’un coup n’est la propriété de personne !
 
   Puis, le serveur lui apporta son plat : des cuisses au poulet et citron, salade, et harissa, en plein ce qui constitue le composant viscéral de l’identité culinaire du Maghreb. Il allait sûrement passer pour l’époux d’une orientale si je n’avais pas deviné son embarras devant ce plat sémillant. Avec la seule fourchette qui siégeait sur la table, il ne sut comment aborder les cuisses du poulet, ni les frites qui émoustillaient le plat. Comme il escrima d’abord les doigts sur la sauce et qu’il ne put avancer davantage, Il demanda un couteau au serveur puis après, se mit à l’oeuvre tout à son aise :
 
   - Mon nom c’est Louis, dit-il, je travaille au bureau syndical. On prépare demain la quatrième marche contre certains acquis, vous pouvez participer si vous voulez, vous aurez une idée sur le programme en allant sur notre site web.
 
   Je me présentais aussi et signalais à Louis que tout ce qui a trait au communautaire et au social m’interpelle et je marcherais pour le bien de tous les humains sur terre au nom de la liberté, la fraternité, et l’égalité, sans être obligé d’assumer à la lettre que ma liberté finit quant commence celle de l’autre, ou que la sienne commence quant finit la mienne
 
 -Les normes de l’égalité c’est dans ces accommodements mon cher Monsieur, préconiser une charte écrite pour une cohabitation commune fera l’affaire de tous, ça ne serait pas une bonne idée ça ? fit-il
 
-Les lois qui tracent des frontières me dérangent, je plaide pour une identité universelle
 
-J’en plaide aussi, mais sachez que les chartes réglementent nos égalités et nos différences. C’est vrai nous avons tous nos racines, mais nous sommes tenus en respect devant une charte bénéfique pour tous, y compris pour les immigrants qui débarquent ici !
 
-Après tout, ne sommes nous pas tous immigrants dans la vie ? Dis je
 
-Oui, et mon oncle Gildor soutient que Jacques cartier est lui-même immigrant, mais il est incapable de le prouver. Sûrement que la moralité n’est pas dans le nombre de centimètres de tissus, ni dans la couleur de la peau…
 
  A la fin, il demanda au serveur une bière bien froide :
 
-On ne sert pas de bière ici Monsieur, réplique le serveur
 
-Comment ça ? fit-il offusqué, c’est absurde
 
-Ce n’est pas un restaurant Bar tout simplement Monsieur
 
-Oh, excusez mon étourdissement, même si je trouve que vous devez servir de la bière au nom la diversité des clients, mais enfin, ce n’est qu’une remarque !
 
-une bière dans une théière ça vous dit ? fit subtilement le serveur
 
Je partis dans un rire convivial et avisais Louis que pour s’accommoder à une bière, cela  prend d’abord une bonne théière. Flatté, Il rie à gorge déployée puis commanda une théière qu’il m’invita à partager avec lui. L’histoire de la bière verte à la menthe nous a parfaitement égayé. Nous avons jasé après sur la vision d’une identité universelle et le devoir d’assumer les codes culturels pour notre survie collectif, ainsi que sur les lois du territoire susceptibles de définir aussi un accommodement raisonnable. Il y avait de la crédibilité dans nos convictions et une volonté ferme de donner du pouvoir au fameux bâton magique. Quelques minutes après, Louis s’est laissé emporter par le journal de Montréal, je gardais le silence convaincu qu’une conscience lucide est une meilleure armure par les temps qui courent. Ces quelques mots échangés ce soir dans ce restaurant ont permis à nos deux solitudes de se rejoindre dans celle de l’aveu accommodant, conscients d’avoir communiqué à l’enceinte de la lune diaphane, l’espoir d’une humanité fraternelle et universelle.
 
kamal Benkirane
 

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Veröffentlicht auf e-Stories.org am 24.07.2008.

 
 

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